Voyage dans un Nomad’s Land que Dooz Kawa connaît par coeur

Le 31 jan­vi­er dernier, Dooz Kawa a sor­ti Nomad’s Land, un cinquième album qui s’in­scrit par­faite­ment dans la con­ti­nu­ité des précé­dents. Retour sur 47 min­utes de poésie, d’amour cru­el, de rap con­scient et de soli­tude. Beau­coup de solitude. 

On avait déjà la track­list, et même un pre­mier son depuis le 6 décem­bre. Dès lors, dif­fi­cile de ne pas être impa­tient: 13 morceaux et une bonne dose de feats, avec des artistes prédes­tinés à col­la­bor­er avec le stras­bour­geois comme Gaël Faye, Davod­ka ou Swift Guad. Ces deux derniers fig­urent d’ailleurs ensem­ble sur le morceau « Chill Mor­ris­son », un texte à trois per­son­nages où les punch­lines et l’é­gotrip sont au rendez-vous.

« On fait du lourd comme ZZ Top

Toi tu pès­es le poids d’Ig­gy Pop »

Chill Mor­ris­son, a.k.a Dooz Kawa

Les trois rappeurs aban­don­nent leur blaz habituel pour pren­dre les noms de Chill Mor­ris­son, Michel Per­ché et Patrick Savachi­er (respec­tive­ment Dooz Kawa, Davod­ka et Swift Guad). Les trois voix si car­ac­téris­tiques de cha­cun s’en­chaî­nent par­faite­ment, et aucun répit ne nous est lais­sé du début de l’in­tro jusqu’à la dernière note.

En par­lant de notes, on retrou­ve un album en cohé­sion totale avec l’u­nivers de DK. Comme dans cha­cun de ses opus, les ambiances d’Eu­rope de l’Est réson­nent dans nos oreilles à coup de gui­tare et autres instru­ments à cordes. Et grâce à Degi­heu­gi, DJ Wis­did, Goomar ou Shantel (entre autres), la prod parvient à nous rap­pel­er en per­ma­nence qu’il est impos­si­ble d’être pleine­ment heureux.

Car la tristesse et la soli­tude sont des sujets que l’on retrou­ve dans cha­cun des textes. Et même sur la cou­ver­ture dess­inée par Mor­gann Tan­co, où le cav­a­lier allant à tra­vers l’apoc­a­lypse qui l’en­toure sem­ble incar­n­er un album plein de mélan­col­ie et de rancœur. Et loin de se cacher der­rière le tra­di­tion­nel foulard qui le car­ac­térise sur les réseaux, Dooz K.O se livre tou­jours davan­tage dans un opus faisant office d’exutoire.

L’al­sa­cien nous grat­i­fie par exem­ple de plusieurs textes sur l’é­tat de l’hu­man­ité avec en tête « Pas­sions tristes » et « Ode à l’é­tat » qui, comme cha­cun peut le devin­er, porte un titre plus qu’ironique:

 

« Tu trou­ves que c’est un cartoon

Que mes cri­tiques sont des rancoeurs,

P’t’être bien car c’est un clown

Qui a du créer les restos du coeur »

« Ode à l’état »

 

On retrou­ve dans ces textes l’amer­tume d’un rappeur qui sait -depuis bien trop longtemps- que l’hu­main n’est plus qu’un ani­mal à la pen­sée unique, for­maté par une société qui rime avec uni­formi­sa­tion et souf­france. Une souf­france col­lec­tive anesthésiée par le cap­i­tal­isme, mais bel et bien vive dans les esprits individuels.

Autant dire que pour ce « Loup des steppes » soli­taire, tout ne va pas à mer­veille, et ce pour le musi­cien comme pour l’homme. Ain­si, dans « Artiste », il souligne le poids de ce qual­i­fi­catif, de ce méti­er devenu fardeau. Suc­cès auprès des femmes, para­noïa et douleur sont au ren­dez-vous, jusque dans le cer­cle privé:

« Paraît que c’est des scé­nars d’autiste

Et c’est pour ça que mon art est triste,

Quand j’re­tourne au quartier

Même mes proches me traî­tent d’artiste »

« Artiste »

 

Puis vient « Rap sale », où le spleen se méta­mor­phose en une haine d’abord tournée con­tre son ex puis con­tre lui-même. Dans un texte cinglant envelop­pé d’une instru plu­vieuse et légère, Dooz Kawa se con­fesse et sem­ble per­dre la tête. Mais avant de nous entraîn­er dans sa noy­ade, le stras­bour­geois nous repêche et nous emmène sur son cheval vers la route de l’espoir.

Car si l’eau nous tombe tou­jours dessus dans « Sous la pluie » (feat. Davod­ka, dont la voix de camion­neur colle par­faite­ment), l’outro de ce morceau apporte un petit ray­on de soleil. Décla­mant sur un tapis sonore plu­vieux, Dooz Kawa nous dit ceci:

« J’ai pas eu l’temps d’vous dire « mer­ci » et même s’il pleu­vra quand même

Prof­ite de chaque éclair­cie à pren­dre dans les bras les gens qu’on aime »

« Sous la pluie »

Après avoir sur­fé sur « La vague » en com­pag­nie de Gaël Faye et Dori­an Astor, l’al­bum touche à sa fin avec une sorte de berceuse dédiée à son fils Milo. Dans le titre éponyme, 8 points vien­nent faire renaître l’en­vie de ne pas crain­dre le monde et d’aimer la vie. Et comme pour finir un voy­age parsemé de trous, de pas­sages à vide et de soli­tude, Dooz Kawa nous quitte sur une invi­ta­tion à vivre, et à per­sévér­er dans le développe­ment de soi:

« Octa­vo laisse ton ego évoluer de façon tendre

Par­fois les choses sont si sim­ples qu’on met toute notre vie à le comprendre

Soit tolérant avec ce que sont ces con­seils à ton image

Car tous les non-sages sont insen­sés mais existe-t-il vrai­ment des sages »

« Milo »

PS: Même s’il n’est pas analysé dans cet arti­cle, « Si ce monde… » est un son incroy­able que je vous encour­age forte­ment à aller check­er, ain­si que l’al­bum dans son ensem­ble. (NDLA : Aucun accord n’ayant pu être trou­vé pour l’u­til­i­sa­tion de l’in­stru du morceau, « Si ce monde » a été réen­reg­istré avec nou­velle prod).

Ci-dessous, le morceau d’origine.

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