Le 2 avril dernier, Kekra dévoilait son troisième album: Kekra. Le rappeur originaire de Courbevoie revient un an après son dernier projet avec des sonorités toujours plus exotiques et un bilan sur son parcours. Il est temps de faire un point sur la nouvelle pépite du phénomène.
Alors que le président Emmanuel Macron annonçait un nouveau confinement pour la France entière, Kekra se produisait tout en haut de la Grande Arche de la Défense à Paris. Dans un live diffusé sur sa chaîne YouTube, il interprétait plusieurs titres de son projet éponyme, le onzième de sa carrière. Avec 10 000 exemplaires vendus en une semaine, il réalise son meilleur démarrage.
A cœur ouvert
Comme à son habitude, Kekra se livre sur son quotidien et ses ambitions. Ce sont les principaux thèmes de l’album qui occupent le cœur de la tracklist. Toujours plus intime, cet album est l’occasion pour lui de faire un bilan sur sa carrière. Pour ce troisième album il est allé encore plus loin en proposant deux versions physiques, Free et Base, chacune avec une tracklist dans un ordre différent. Kekra laisse parler sa musique et offre la possibilité à son public de lire son projet comme il l’entend.
Dans les premiers sons, il exprime sa solitude qui lui rappelle les moments difficiles de sa vie, quand la musique ne lui apportait pas encore la stabilité. Mais cette solitude représente aussi sa construction artistique. Elle s’est faite autour du monde et en solitaire, dans des environnements inconnus qui lui ont permis de cultiver cette diversité qu’on lui prête aujourd’hui. Il évoque Dubaï à plusieurs reprises dans « J’éteins ».
« Personne ne voit la suite, dernier étage Jumeirah beach »
« J’rentre tout juste de baï-Du, welcome back to the gouffre »
Mais ces séjours à l’étranger, loin de son quotidien, ne lui sont pas toujours bénéfiques. Il finit par se renfermer sur lui-même comme il l’explique dans le son « Phénomène ».
« J’suis pas v’nu pour entendre qu’on m’apprécie, j’ai moins d’place dans mon cœur qu’dans mon dressing »
Les voyages ne sont qu’éphémères et Kekra retourne immanquablement dans son quartier. Il y consacre la majeure partie de l’album. Il décrit le trafic de drogue, les mauvaises influences, les gens surfant sur son succès, etc. Il fait état de son succès et de son désir d’émancipation vis-à-vis de son quotidien dans la rue. Cette vie est nocive pour lui mais il ne peut s’en dissocier. Et à force de traîner avec des personnes peu fréquentables, il se rend compte d’une chose importante dans le dernier son de l’album, « Pas d’amis ».
« Je n’ai pas d’ami, j’ai que ma famille »
Cette conclusion fait une boucle avec ce qu’il confiait dans « Phénomène », deuxième son de la tracklist. Sa vie est une boucle, un train de vie qui lui colle aux pieds. Heureusement, Kekra a la chance de pouvoir y échapper grâce au rap.
Sa musique comme moteur d’émancipation
Au cours de quelques interviews, Kekra présente le tandem Base/Free qui rappelle sa suite de projets Freebase dont le dernier, Freebase, Vol. 04, date de 2020. Il s’agit d’une recherche de liberté bien plus profonde que celle évoquée dans les standards du rap (richesse, indépendance). Kekra est déjà indépendant puisqu’il possède son propre label: VRL. Mais il est en quête d’harmonie avec lui-même et les proches qui l’entourent. C’est un discours qu’on a déjà entendu, notamment chez Ali avec l’Islam pour pilier.
« Numéro 9 de la team no lacking »
Dans le refrain de « Numéro 9 », il s’autoproclame membre des « no lacking ». C’est un terme anglais popularisé en France par les membres du collectif 667. « to lack », c’est sortir du droit chemin. En d’autres termes, Kekra fait partie de ceux qui prônent un mode de vie le plus sain possible, qui s’éloigne de la vie de quartier à laquelle il a été confronté toute sa vie.
Cette quête est matérialisée par la cover de l’album. On y retrouve la distinction entre le bas (Base), là d’où il vient et le haut (Free), le quartier de la Défense à Paris. La « Base » est un endroit sombre aux couleurs inquiétantes (le rouge et le noir). On a du mal à s’y repérer. Les débris au premier rang et les dizaines de clients en file indienne sont les marqueurs de la vie de quartier qu’il décrit froidement dans ses sons. Un univers où règne la pauvreté et l’insalubrité. La cover fait aussi référence à la vie souterraine des sans-abris du quartier de la Défense.
Juste au-dessus se trouve le quartier d’affaires, lieu d’activités financières des grandes multinationales côtées en bourse. Cet endroit fait office de fantasme pour Kekra car il a toujours habité tout près. Il apparaît d’ailleurs sur la cover. D’abord en tout petit, c’est l’individu qui grimpe jusqu’au sommet de la Grande Arche, représentant ainsi son ascension parcourue jusqu’à aujourd’hui. Il incruste aussi ses lunettes fétiche, symbole du regard aiguisé qu’il porte sur sa carrière musicale et sa vie en général.
Et ce n’est pas la première fois que le rappeur des Hauts-de-Seine prend du recul sur ses covers. Déjà sur son premier album, Land, sa tête forme une île. Son visage est immergé tandis que le haut de son crâne, foyer de son inspiration, est à la surface. Dans Vréalité, il s’affiche sur le même plan que ses potes, sans occuper tout le cadre. On peut facilement établir une trilogie de ses albums grâce à cette identité visuelle. Le premier représente le fruit de son imagination et de son travail. Le deuxième, c’est sa vie de quartier au plus proche des siens et décrite de la manière la plus réaliste possible. Enfin, Kekra, c’est la synthèse du processus.
Un vrai caméléon
Pas de featuring sur cet album, rien d’étonnant, on a déjà vu ça chez Kekra. Il se concentre sur ses nombreux flows qui font de lui un électron libre aux influences hétéroclites. Il peut s’aventurer dans tous les recoins du rap. Sa plus grande source d’inspiration se trouve de l’autre côté de la Manche dans la grime (Dans l’dos) et le 2‑step garage (Babyphone, Ready). Il a aussi adopté des prods de type drill (Numéro 9, Laforet). Il s’y était essayé sur un son épique avec Dutchavelli, « Bando Diaries » en octobre 2020.
Avec ce mix de sonorités sur l’album, on sent qu’on a affaire à un mordu de musique qui laisse sa créativité s’exprimer. S’il n’est pas un lyriciste hors-pair, il fait partie de ces artistes capables de plier n’importe quelle prod en un rien de temps. Il l’a d’ailleurs prouvé sur Booska‑P, dans l’émission 1 son en 1h qui accompagnait la promo de son album. Il répète souvent que la musique est trop facile pour lui notamment sur le son « Manières ».
« J’ai le flow qui diffère maintenant, sont du-per, c’est du beurre maintenant »
Ils sont beaucoup dans la tête de Kekra et ses différentes facettes musicales donnent presque l’impression d’écouter un album en collaboration avec pleins d’autres artistes.
Ce troisième album, c’est celui de la confirmation pour Kekra. Il concentre une communauté de plus en plus fidèle et des influences étrangères qui font de lui un artiste atypique dans le paysage rap français. Dans la continuité de ses projets précédents, il ne cesse de surprendre musicalement et devrait figurer à n’en pas douter dans la liste des artistes à retenir cette année.