Le 7 février dernier, Isha a dévoilé La Vie Augmente Volume 3. L’occasion pour le rappeur bruxellois de clôturer une trilogie commencée trois ans plus tôt.
Il est de ceux sur qui la vie a laissé des traces. La rue, le monde carcéral, l’alcoolisme… Isha est passé par toutes les phases. Une vie tumultueuse, gorgée d’expériences qu’il nous partage sans filtre depuis maintenant trois ans et la sortie de La Vie Augmente Volume 1 en avril 2017. Une écriture directe, impactante, sortie des bas-fonds des quartiers bruxellois et de ses inspirations directement puisées du rap new-yorkais. La vie augmente. Un pari risqué à la base qui se transforme doucement en véritable victoire.
Quand légèreté rime avec densité
Isha a toujours accordé une attention toute particulière au fond. LVA volume 1 était une mise en bouche et un vrai défi pour lui : un retour au rap après avoir voulu en finir avec cette musique. On découvre alors une écriture et des instrumentales brutes. Ça transpirait (et encore un peu aujourd’hui) le bitume. À partir d’LVA volume 2, le MC a fait le choix d’élargir sa palette sonore et n’a pas hésité à s’ouvrir musicalement en chantant timidement sur des morceaux comme « MP2M » ou « Rien ». Une évolution logique en parallèle d’un rap francophone toujours en quête de nouveaux genres musicaux.
Cette ouverture est encore plus marquante sur ce volume 3. Des morceaux comme « Magma » ou encore « Bad Boy » entre autres sont sûrement des moyens pour Isha de relâcher la pression, entre des morceaux plus brut comme « Durag » ou « Idole ».
Ces tracks plus légers dans la forme et l’interprétation lui permettent d’aborder de nouveaux thèmes plus en profondeur.« MP2M » hier, « Coco » et « Les magiciens » aujourd’hui sont de parfaits exemples. Ce dernier aborde le thème de la colonisation et des traces laissées par cette époque. Des mots forts qui glissent sur une production aérienne de Katrina Squad : Le message passe d’autant plus facilement, et l’alliage entre le fond et la forme est parfaitement dosé. Le bruxellois réussit à rendre sa musique plus accessible, tout en gardant une écriture riche et dense. Chaque volume d’LVA est parsemé de référence à cette époque coloniale, « Les magiciens » vient y mettre un point d’orgue.
« Tous ceux qui les ont vus de près disent que leurs yeux ont la couleur du ciel
Ils portaient tous un homme mort, attaché à une croix de fer »« L’histoire, elle est douloureuse, l’héritage, il est colonial
Y a aucun peuple qui peut comprendre un peuple, car l’Histoire nous raconte des histoires »
Une lueur dans l’obscurité
« En vrai, j’aime la lumière mais j’préfère quand c’est plus sombre ». Isha définit son rap comme quelque chose de très instinctif, très spontané. Comme s’il discutait tout simplement avec lui-même. Il met souvent en avant cet aspect thérapeutique de l’écriture. Cette façon de se mettre quasiment à nu. Une introspection glaciale, presque macabre par moment. À chaque morceau, on pénètre dans l’intimité du rappeur ou dans celle de son entourage.
LVA 3 ne déroge pas à la règle. Des images fortes qui font ressortir des émotions toutes particulières chez l’auditeur.
« La voisine sait qu’j’ai les nerfs qui lâchent, taper sur les murs et gueuler dans la douche… Plus l’temps avance et plus j’constate que tous mes potes ont leur nez dans la schnouf »
Toutefois, un filet de lumière vient traverser les persiennes du salon où Isha écrit ses textes. Sur ce volume 3, cette lueur vient notamment des productions (un beatmaker différents sur chaque morceau), mais également des featurings. Si les présences de PLK et Dinos restent dans la sphère d’un rap très kické, Green Montana — jeune rappeur belge très proche d’Isha — apporte une fraîcheur inédite sur le refrain du morceau « Bad Boy ». Sur l’instrumentale proposée par La Miellerie et Twenty Two, l’interprétation de Green nous attrape directement et fait bouger les épaules sur des lyrics toujours assez dures.
Enfin, le doigté magique du pianiste Sofiane Pamart vient sublimer « Décorer les murs », une outro poignante, aux percussions orchestrales grandioses. Les quelques notes de piano apportent un côté très lumineux et offrent une nouvelle dimension au morceau. Isha évoque son début de succès mais reste lucide face à un avenir toujours imprévisible.
« Mes anciens collègues disaient « fuck ton hip-hop », ils se marraient la nuit en regardant mes clips
Je n’travaille plus, ouais, maintenant, j’en rigole, j’vis d’la musique comme Ennio Morricone »« j’sais pas pourquoi je n’arrive jamais…À savourer mes victoires, je pense tellement à la prochaine période de crise »
LVA 3 ne peint pas seulement les traumatismes d’une vie agitée. Il est aussi, comme les précédents, rempli d’auto-dérision et d’égo-trip tranchant qui caractérisent sa personnalité. « Chaud devant » et « Boulot/Baobab » se classent dans cette catégorie de morceaux où Isha prend la production pour un terrain de jeu et s’amuse juste avec des rimes plus simples mais terriblement efficaces.
« J’ramène du flow, j’ramène du fond
J’suis qu’un cochon, j’ai des pulsions, j’suis dans l’peloton d’exécution »
L’album abordera peut-être des sujets plus joyeux. Isha s’offre une réelle rédemption aujourd’hui. Une nouvelle vie dont bénéficient aussi ses proches.
« J’ai une mère, un palais et un deuxième bureau, je suis numéro 10, Roi du Maracanã »
La vie augmente volume 3 vient achever un autre chapitre de la vie d’Isha. Une partie de sa vie marquée par l’acquisition d’un nouveau statut. Après en avoir bavé pendant des années, le travail acharné porte enfin ses fruits et l’emmène au-delà d’un simple succès d’estime. Le Tosma d’un côté, le frigo américain de l’autre, celui qu’on voulait envoyer chez le logopède peut maintenant voir la vie en grand.