Après avoir accordé des interviews exclusives à Zobini, le rappeur Spider ZED a accepté de se laisser tranquillement emporter par le courant d’une interview fleuve. A l’occasion de la sortie de son quatrième EP Abonnez-vous, paru le 25 juin, ce « Spider man sans pouvoir » a mis son second degré au service d’In Da Klub pour évoquer entre autres ses inspis, ses projets et son syndrome de l’imposteur.
Juliette : Alors ça y est, t’es un peu devenu YouTuber maintenant non ? Ça te tracassait déjà dans “Pour du beurre” (Bien ou quoi, 2019), et là tu reviens avec un EP qui s’intitule Abonnez-vous. Sans parler de tes vidéos parodiques “Zobini”. Un vrai influenceur. Ça te plairait comme métier?
Spider Zed : Non, grave pas. Mais n’importe quelle manière avec laquelle on peut apprendre à connaître ma musique, je prends. Pour les vidéos “Zobini”, je me suis dit : “Go faire des parodies d’interview parce-qu’on ne m’interviewe pas”, et puis c’est trop drôle de se moquer d’eux. En plus, ça montre que je peux être un peu comédien et un peu drôle.
C’est vrai que dans tes projets et sur tes réseaux, la tendance est plutôt à l’acting humoristique, que ce soit dans tes clips ou dans tes vidéos parodiques. Est-ce que t’as besoin de quelque chose de plus que la musique ? Tu aimerais faire de la comédie ?
Oui j’aimerais bien. Après, je suis un rappeur de base et je pense que je le resterai. Mais j’adore faire des trucs nouveaux et rigoler. Par exemple, pendant le confinement, j’ai fait plein de lives sur Twitch parce-que je trouvais ça marrant, mais là j’ai plus envie d’en faire donc j’en fais plus. Et j’en referai peut-être dans un mois si j’en ai envie. C’est juste que j’aime bien “tester mes limites” — même si ça fait un peu phrase de beauf — mais dans le sens où je veux voir ce que je vaux. Si tu me proposais de jouer dans des films drôles, je répondrais : “mais carrément”.
Et tu ne jouerais pas dans des drames?
Pas de drames, non. En tout cas, pas dans un premier temps. Je ne serais vraiment pas crédible et je ne pense pas être assez bon acteur pour avoir l’air vraiment triste.
Tu n’as jamais fait de théâtre?
Si, j’ai fait deux mois de théâtre en CE2. Et un mois de théâtre sur mes deux mois de fac.
Et est-ce que tu as choisi de faire des morceaux ironiques comme projet artistique, ou est-ce que tu as juste du mal à être complètement premier degré ? Un peu comme un Vald qui, au début, a pu avoir du mal à ne pas maquiller la dureté de ses propos par de l’humour?
Je peux aussi être très direct, comme dans “Oh”. Mais j’adore l’ironie, d’ailleurs on le voit, je ne fais presque que des parodies. J’ai un peu horreur des gens sérieux quoi…
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Il n’y a pas de message derrière tes morceaux?
Parfois oui, mes morceaux sont en mode “c’est triste mais il faut accepter et rigoler”, parce-que ça ne sert à rien d’être triste, ça ne va pas arranger les choses. Même si, quelquefois, il faut l’être quand même. C’est pour ça que dans mes EP, il y a toujours un son juste triste.
Est-ce que tu fais attention à te renouveler ?
Là, par exemple, le morceau “Oh” m’est venu vite et je le trouvais assez cool. Mais parfois, c’est vrai que c’est un peu comme une parodie de moi-même. Les premiers trucs qui me viennent — surtout quand la prod est plutôt similaire à ce que je fais d’habitude — ce sont les trucs qui me définissent : “Ohlala, tous les jours sont pareils” ou “Je m’ennuie”. Ça me vient tout le temps au début, mais après je me dis : “on va se faire chier” et qu’il ne faut pas que je suive mon premier instinct.
Justement, dans ton nouvel EP, je trouve que le son “Oh” ne ressemble à rien de ce que tu as fait avant. Ici, la prod colle parfaitement aux lyrics tristounets alors que, d’habitude, il y a toujours un décalage — plus ou moins marqué — entre les deux, ce qui rend le tout léger et finalement joyeux. T’en penses quoi?
Cette fois ce n’est pas moi qui ait fait la prod, c’est Yaska, donc forcément il y a un truc un peu différent. J’ai fait ce son très très vite. Il m’a envoyé la prod et je lui ai renvoyé une heure et demi après. En plus, j’avais fait tout un yaourt avec juste les top-lines. C’est seulement après que j’ai écrit. Alors que d’habitude, je ne fais jamais ça. J’ai l’impression que, parfois, je suis un peu dirigé. On dirait un artiste possédé par l’art et tout, mais c’est juste que parfois les mots viennent, ça me parle, donc go. Bon, après parfois je réfléchis hein!
Ce morceau plutôt badant clôt ton projet. J’ai l’impression que tous tes EP commencent avec un morceau au ton joyeux et plein d’auto-dérision, et se terminent par un son triste et davantage premier degré. C’est voulu?
Oui, après je ne sais pas si c’est en mode cheminement qui mène à la tristesse ou si c’est juste que je trouve ça plus joli de finir sur des trucs tristes plutôt que joyeux. J’aime pas finir sur un morceau un peu cool, où l’auditeur se dit “Oh mais en fait ça va, il va bien”. Comme il y a plein de gens qui me prennent pour un rigolo, ça montre aussi que je suis un être humain et que j’ai des sentiments.
Il y a beaucoup de toi dans ton personnage de Spider ZED non?
Complètement. Je trouve ça déjà bizarre de dire “Spider ZED” en parlant de moi. Après, c’est pas 100 % moi non plus. Il y a forcément des histoires, comme Mes ex (son tout premier EP, sorti en 2017) par exemple, où il s’agit pas que d’une meuf. C’est plein d’histoires ensemble. Mais je ne dirais pas de trucs que je ne pense pas, et inversement.
Et à quel moment Spider ZED ne déprime-t-il pas? Qu’est-ce qui le rend heureux?
Faire de la musique je pense. Parce-que je suis très heureux dans ma vie, justement parce-que tous les trucs tristes qui m’arrivent, que je ne comprends pas, et qui me font de la peine, j’en parle dans mes sons. Au lieu de tout garder pour moi ou de tout dire à un psy qui ne donne pas de réponses. Avoir des sentiments que je retransmets en lignes hyper concises — car j’essaye toujours d’être très direct, je ne suis pas trop dans la métaphore pour exprimer ce que je ressens — ça me fait du bien. Ça m’apprend beaucoup de choses sur moi-même. Et je suis peut-être un peu chiant, au sens où j’ai assez peu d’émotions spontanées parce-que je me dis “Ah mais si je ressens ça, c’est parce-que ça”. On dit souvent que je suis assez froid. Surtout les inconnus, parce-que je ne sais pas trop comment montrer mes sentiments. J’ai peur qu’on pense que je suis quelqu’un que je ne suis pas.
Des références humoristiques qui te font particulièrement rire?
Dans l’absurde, la série The Office est pour moi un classique. Hero Corp aussi, la série de Simon Astier.
Qu’en est-il de tes influences musicales? Parce-que tu as beaucoup évolué depuis le High Five Crew (son premier groupe de rap, ndlr)?
Mon tout premier gros kiff de rap c’était La Fouine avec son album Aller-retour. Sinon, dans les albums qui m’ont énormément marqué, il y a eu Perdu d’avance d’Orelsan et Curriculum vital de Salif. C’est les premières fois où je me suis dit : “Ouah, le rap c’est incroyable en fait.” En ce moment, j’écoute des trucs américains, dont le dernier album de Billie Eilish parce-que je n’avais pas trop écouté. En général les gros trucs, quand c’est américain, je passe à côté. Et en rap, j’écoute pas mal de “rap pure”, même si ça n’a aucun sens de dire ça. C’est vrai que j’ai eu des tournants très pop — c’est d’ailleurs encore le cas –, et que ça fait longtemps que j’ai pas vraiment rappé comme à l’époque du High Five. En ce moment, j’ai assez envie de faire ça.
Une sorte de mood qui revient?
Oui et je ne sais pas pourquoi ! Parce-qu’avant, au contraire, je n’avais vraiment pas envie de rapper et je me forçais à mettre un couplet un peu rappé, parce-que je me disais “quand même, les gens m’ont connu parce-que je faisais du rap, il ne faut pas que je sois trop pop”. Après je me suis dit : “Boh, rien à foutre!”. Et là je ne me dis pas qu’il faut que je le fasse. J’ai juste envie de rapper des trucs techniques qui me faisaient kiffer quand j’avais 17 ans.
Tu parlais d’influence plus pop tout à l’heure. Léo Roi correspond pas mal à cette veine-là. Il t’inspire?
Bien sûr, parce-que j’aime ce qu’il fait et que toute la musique que j’aime m’inspire. Quand j’aime un truc, j’ai envie de faire pareil.
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Il y a trois ans, dans ton son “Sad house” (Figurine, 2017), tu disais : “J’ai le corps, j’ai la tête, j’ai la barbe, mais j’partage pas les idéaux d’un homme”, c’est toujours le cas? C’est quoi la vie idéale pour toi?
A l’époque, je ne voulais pas trop de responsabilités d’adultes et je ne rêvais pas de trouver un taff, prendre un labrador et m’installer dans un pavillon en banlieue. Ou même juste avoir un taff et aller au bureau tous les jours, ça m’aurait un peu déprimé je pense. Aujourd’hui, je suis peut-être devenu un peu plus entrepreneur, parce-qu’à l’époque où j’ai fait “Sad house”, je ne vivais pas du tout de la musique. Et puis je me suis rendu compte qu’à un moment, il faut faire de l’argent. Même si j’en avais déjà envie avant… Mais je me disais que ce n’était pas trop possible. C’est plus facile de se dire que tu ne veux pas quand tu ne peux pas.
Et aujourd’hui tu fais de l’argent grâce à ta musique…
J’ai tendance parfois à un peu dénigrer ce que je fais. Je me dis : je suis juste chez moi, je fais du piano, je rajoute une batterie, je chante dessus et ça me rapporte de l’argent. En plus c’est un truc un peu bizarre : j’utilise un distributeur en ligne et je clique dessus de temps en temps pour voir si j’ai reçu de l’argent. Ça tombe un peu comme ça, il n’y a pas marqué : “Un certain nombre d’écoutes = tant d’euros”. Quand j’étais au lycée et que j’étais avec le High Five, je me disais que si un jour on arrivait à vivre de la musique, ce serait un truc de malade ! Et au final, aujourd’hui, j’ai tendance à considérer que je suis rappeur, que c’est mon métier.
T’as un peu le syndrome de l’imposteur ?
Complètement. En plus je fais tout, donc je bosse pas avec des gens connus, qui te disent que t’es fort et toi tu te dis “Ouais, c’est vrai que je suis fort”. Moi, je suis juste chez moi, je sors mon truc, ça me rapporte de l’argent et je suis là genre “Woh, cool.” Mais c’est formidable.
Dans un sens, ça aide aussi à ne pas prendre la grosse tête.
Je pense que je traîne pas encore assez avec des gens connus pour prendre la grosse tête. Mais peut-être qu’un jour, quand j’irai en boite avec Kev Adams…
Dans ton interview pour Interlude, tu parles de feater avec un chanteur de variété. C’est qui ton/ta chanteur(se) préféré(e) ?
Quand j’étais petit j’écoutais tout le temps Michel Delpech, donc je pense que c’est lui. Et vivant, je dirais un Julien Doré, un Raphaël ou les BB Brunes. Pour un feat ce serait stylé je trouve. Ou Carla Bruni. Parce-que c’est Carla Bruni, et que, quand même, c’est la femme de Sarko : double truc de ouf. Tous les feats où tu te dirais “Quoi ?!”, bah j’ai envie de les faire. Et pareil dans l’autre sens d’ailleurs, j’adorerais feater avec des rappeurs ultra street. Ils voudront jamais, mais moi je suis trop chaud. J’aimerais aussi trop écrire pour des chanteurs de variété : ce serait incroyable.
D’après tes posts récents sur les réseaux, il y a un nouveau projet à venir : tu peux nous en dire davantage ?
Il y a un album qui arrive. Mais je ne l’ai pas encore annoncé alors je ne peux pas en dire plus.
Et tu viens d’annoncer douze nouvelles dates dans des grandes villes de France, t’aimerais faire des festivals l’été prochain?
Bien sûr, j’adorerais. Je veux absolument tout faire. En l’occurrence cette année, j’ai plutôt eu de la chance parce-que tous les festivals ont été annulés cet été et aucun ne m’avait programmé. J’avais envie de leur dire : “Cheh”. Si j’avais eu un gros Solidays ou un gros Rock en Seine j’aurais été dégoûté. Là, mon album sort bientôt, donc j’espère que l’été prochain j’aurai un plan. Après, je suis en indé… L’album va pas passer à la télé, et il n’y aura pas des affiches dans le métro. J’espère que ça va faire plus, mais je pense que ça va faire l’effet d’un gros EP. Au niveau de la presse, je ne pense pas que ça va être très médiatisé.
Pour finir, dis-nous tout : tu es finalement plus proche de devenir riche ou sourd ?
Je pense — et j’espère — que je suis plus proche de devenir riche. En tout cas je suis archi pas sourd. Je dirais en vrai que je suis loin des deux, mais que je suis plus proche de devenir riche que de devenir sourd.