Premier jour de 2020 : une décennie commence, une autre s’achève. Et durant ces dix dernières années, difficile de manquer l’élément Drake. L’artiste le plus écouté dans le monde a choisi le 25 décembre pour offrir à ses fans (et un peu à lui-même ?) une interview menée par Elliott Wilson et Brian (B.Dot) Miller pour RapRadar, publiée sur la chaîne Youtube du rappeur.
Nous retrouvons ainsi Drizzy, barbe parfaitement taillée et verre de vin blanc à la main, bien installé dans un des canapés de sa nouvelle maison de Toronto, ville où il a grandi. Sol en marbre et piano à queue sont au rendez-vous tandis que les deux journalistes reviennent pendant un peu plus de deux heures sur le passé, le présent et l’avenir de Drake : tous les temps de l’indicatif y passent.
« 400 semaines dans le top 10 » (Eliott Wilson)
« C’est ta décennie », rappelle Eliott Wilson à la superstar. Depuis dix ans, le rappeur n’a pas quitté le top 10 des artistes qui vendent le plus dans le monde. Il nous révèle alors son secret : en essayant de rester « à la page et régulier », il s’est appliqué à ne se laisser ni trop abattre par les mauvaises passes, ni trop hyper par le succès. Cette prospérité est aussi le fruit d’un dur labeur, à l’image de son mentor Lil Wayne qu’il admire pour travail acharné : « J’ai vu Wayne terminer quatre, cinq classiques en une nuit […]. C’est comme s’il en pleuvait ». Celui qui se définit comme « le petit frère de Lil Wayne » est reconnaissant auprès de son aîné de lui avoir laissé son indépendance, aussi bien dans sa musique que dans ses choix personnels. C’est cette liberté que le rappeur canadien souhaite laisser aux artistes qui signent chez OVO sound, label qu’il a créé en 2012.
« Je ne m’attribue aucun autre mérite que celui-ci : avoir seulement ouvert ce nouveau chapitre dans tous les esprits »
Drake n’avait pas prévu son succès, ni le retentissement de ses plus gros hits : « Ce n’est pas si organique, ce n’est pas à ce point calculé ». Il prend l’exemple de « God’s plan », qu’il s’est dépêché de terminer après avoir proposé le sample à Trippie Red (dont il ne s’est pas servi), craignant qu’il ne fuite et soit repris par un autre. Mais parmi tous ces tubes et ces ventes d’album, sa plus grande réussite est ailleurs : celle d’avoir « donné à la ville une identité quand tous mes potes parlaient avec un faux accent américain », d’ouvrir la voie à d’autres artistes comme The Weeknd (Abel Makkone Tesfaye), autre star internationale née à Toronto.
« Faire de la musique pour les filles, c’est juste la chose la plus tendance que l’on puisse faire »
Entre chant et rap, l’artiste explique sa recherche de l’équilibre. Il en profite pour rappeler qu’il n’est pas le premier à le faire : il mentionne 50 cent et son titre « 21 Questions », exemple inspirant d’un gars qui chante alors qu’il n’est pas supposé le faire. Drake assume le côté gentillet et sensible de sa musique car c’est ce qu’il aime faire : « Je respecte beaucoup tous ces jeunes artistes qui brisent les frontières de la musique, ce n’est plus juste blanc et noir. ». On reproche par ailleurs à Drake de puiser son style dans d’autres cultures et de se les approprier ; notamment dans le morceau « One Dance » en feat avec Kyla et WizKid, qui utilise des vibes afrobeat. Pour lui, ce genre de titres est plutôt une façon de donner l’opportunité à des artistes dont c’est la culture de la représenter, comme c’est le cas ici avec le rappeur nigérian qui l’accompagne.
« If I die, I’m a legend » (« Legend », If You’re Reading This It’s Too Late (IYRTITL))
Du RnB à son alliage musical actuel, Drake revient sur son parcours. C’est avec sa première tape intitulée Best I Ever Had (2009) qu’il vit son « who is this (« qui est-ce ») moment » : une période unique pour le rappeur, devant percer grâce au « bouche à oreille » à une époque où tout n’est pas encore accessible sur Internet. Il reconnait que son premier album Thank Me Later (2010) est davantage un produit de son entourage de l’époque, constitué de superstars comme Alicia Keys ou JAY‑Z, qu’une œuvre personnelle. C’est avec son deuxième opus Take Care (2012) qu’il prend davantage d’assurance après être revenu à Toronto, et se dit : « Nous allons avoir notre propre son, il sonnera comme notre ville, et il va être sombre, et maussade, et sonner comme le froid que je sens dehors ». Nothing was the same est quant à lui l’album qu’il préfère pour son aspect concis, où la qualité se concentre davantage : « Il y a très peu de morceaux sur l’album que je réécoute et à propos desquels je me dis « J’aurais du faire les choses différemment » ». Chacun de ses albums a selon lui son importance dans l’histoire musicale ; il estime d’ailleurs que l’on ne peut en désigner un comme étant moins important que les autres. C’est le sens qu’il donne au morceau « Legend » (IYRITL), sorti à l’époque où il dit avoir commencé à réaliser que les gens regarderont plus tard ses photos, comme lui le faisait enfant avec les photos de ses idoles.
Cette interview est aussi l’occasion pour Drake de faire le point sur ses différents clashs avec Meek Mill, Kanye West ou encore Pusha‑T, qui l’a accusé de ghostwriting et avec qui il ne semble pas prêt à recoller les morceaux. « Il y a des règles » dans les clashs de rap, et en dévoilant plusieurs secrets personnels de Drake, dont l’existence de son fils Adonis, le New-Yorkais ne les aurais pas respectées. Drizzy nous parle aussi de sa réconciliation avec Chris Brown, grand rival depuis 2012, avec qui il a « l’impression qu’il y a enfin une reconnaissance commune ». Un traité de paix bien assumé, en témoigne leur collaboration dévoilée cet été sur « No Guidance ».
« Je suis juste content d’être encore intact, c’est ma plus grande réussite »
Au regard de ces dix années qui s’achèvent, Drake exprime finalement sa satisfaction de poursuivre une carrière intègre. Avant de se remettre au charbon, le rappeur dit vouloir prendre son temps et retrouver le contact avec le monde extérieur. Mais il se pourrait bien que 2020 soit l’année d’un nouvel album, et, pourquoi pas, la porte ouverte sur une nouvelle » décennie Drake ».