Au Nigeria, le hip-hop se bat pour exister. Les rappeurs nigérians représentaient jadis une part importante de l’industrie musicale du pays, dominant le continent avec un rap produit dans tous les recoins de la capitale créative nationale: Lagos. Aujourd’hui, les rappeurs se multiplient dans tout le pays, et cet art semble voué à être relégué au second plan du marché traditionnel, comme un cousin moins désirable de l’Afrobeat ou de la dance music traditionnelle.
Au Nigeria, les temps ont changé et le hip-hop peine à retrouver sa place au plus haut niveau. Et là où il a survécu, les rappeurs ont dû faire un compromis en fusionnant leur art avec des éléments de la dance music locale pour conserver un semblant d’existence au sommet des charts. D’ailleurs, le genre a également du mal à maintenir l’intérêt du marché pour générer des bénéfices substantiels.
Mais cela n’a pas toujours été le cas. Le rap a une riche histoire au Nigeria, et le pays a produit des générations de grands MC qui ont été vénérés et soutenus, à la fois par l’industrie et le marché international.
Si la condition des rappeurs nigérians semble délicate, l’espoir réside dans les scènes underground du pays où cette culture continue de briller. Les jeunes rappeurs, influencés par les grands noms des États-Unis (1), ont appris à manier les plates-formes indépendantes, à fonder un succès d’estime grâce à une véritable maîtrise de leur art et des réseaux sociaux pour se créer leur audience et compléter l’histoire du genre musical.
Pour comprendre l’état du rap au Nigeria, faisons une très courte contextualisation historique.
Comme expliqué précédemment, le premier lieu où le hip-hop a gagné en popularité a été Lagos. Au cours des années 80, le Nigeria était sous l’emprise d’un gouvernement militaire violent, entraînant une profonde crise dans tout le pays: dévaluation de la monnaie, pertes d’emploi et chômage persistant, en particulier chez les nouveaux diplômés tout juste sortis de l’université.
Pendant cette période, le hip-hop apparaît comme un outil cathartique pour ces jeunes confrontés quotidiennement à la détresse de leur pays. Le rap s’affirme comme exutoire, mais aussi devient une manière pour les jeunes de gagner leur vie sans l’aide du gouvernement. Si le hip-hop était utilisé pendant cette période à des fins de divertissement, il l’était avant tout pour critiquer le gouvernement et exiger des changements concrets.
La fin des années 90 et les débuts du nouveau millénaire ont vu une explosion de rappeurs rentrés chez eux, pour beaucoup, après la diaspora occidentale. Au Nigeria, ces artistes émergents ont commencé à relocaliser le hip-hop et à écrire leurs chansons en anglais et dans tous les dialectes locaux en tant que moyen d’expression personnelle, rendant ainsi le hip-hop nigérian multilingue. Même si le rap se démocratise dans tout le pays, nombre d’artistes aiment critiquer la qualité des productions nigériennes.
Au Nigeria, les années de 2004 à 2008 marquent des bouleversements dans le paysage médiatique. De nouvelles règles imposent un minimum de contenus locaux sur les chaînes de télévision et de radio afin de favoriser la production nationale. La qualité des clips vidéo s’améliore. L’arrivée de MTV Base Africa, diffusée dans 48 pays du continent, va démultiplier l’audience de la nouvelle génération d’ambitieux rappeurs nigérians.
Même si le rap au Nigeria est encore loin de faire l’unanimité dans sa région, la scène underground de Lagos devient petit à petit un puits de talents où les plus grandes stars américaines viennent dénicher de nouveaux prodiges. Flavour, Banky W., 2Face Idibia, Wizkid, Weird MC… entrent dans des écuries américaines comme G.O.O.D. Music de Kanye West ou Konvict Muzik, de l’Américano-Sénégalais Akon. Même si certains artistes ouest-africains restent critiques vis-à-vis de leur compatriotes (2), l’influence nigérienne commence à se faire sentir partout dans le monde, même en France.
(1) La musique hip-hop nigériane est fortement influencée par son pendant américain. Cela s’explique principalement par le fait que le pays est le deuxième plus gros consommateur de hip-hop US après les Américains eux-même.
(2) Dans une interview, le rappeur Hotyce partageait le 14 octobre dernier un avis tranché sur l’image que véhicule le rap au Nigeria. Pour lui,: « le hip-hop a vraiment l’air minable dans ce pays. Le hip-hop n’a l’air de rien. Les rappeurs, si vous les regardez bien, s’habillent n’importe comment, ils ont l’air ridicule… »