Nekfeu, ou le dégoût de la société

Depuis plus d’un an déjà, plus de nou­velles de Nek­feu ou presque. Il a dés­ac­tivé tous ses réseaux soci­aux, les fans ayant  dû se con­tenter d’une pho­to avec Kalash Crim­inel et de son rôle prin­ci­pal dans un clip de Népal. De nom­breux fans se sont inter­rogés sur son départ, mais le rappeur avait déjà lais­sé plusieurs indices dans ses morceaux, de pourquoi un tel désamour vis-à-vis de la façon dont la société fonc­tionne et donc de pourquoi cette dis­pari­tion des réseaux soci­aux, qui sont au cœur de ce fonc­tion­nement. Comme vous vous en doutez au vu de la lec­ture de cette intro­duc­tion, je vais donc vous par­lez du rap­port de Nek­feu avec la société au tra­vers de ses dif­férents projets.

La presque absence de communication

C’est une chose assez remar­quable chez Nek­feu. Après s’être fait con­naître avec Feu , son pre­mier album, il n’y a pas eu de com­mu­ni­ca­tion au préal­able pour son deux­ième album Cyborg , un album « sur­prise » annon­cé en con­cert à Paris le 1er décem­bre 2016. Enfin, aucun clip n’est paru après la sor­tie, ni même d’interview. Pour son troisième album, Les Etoiles Vagabon­des, un ren­dez-vous a été don­né au ciné­ma pour voir un film à séance unique. S’en est suiv­ie la sor­tie de la pre­mière par­tie de l’album, puis la deux­ième deux semaines après.

Pen­dant un an, un doc­u­men­taire sur la pro­duc­tion de l’al­bum était disponible sur Net­flix. Mais là non plus, pas de clip, à part pour le titre « Sous Les Nuages ». En plus de cela, le rappeur est désor­mais absent des réseaux soci­aux. Ses comptes étant dés­ac­tivés, les fans ont dû se con­tenter d’une pho­to avec Kalash Crim­inel et de sa présence dans le clip « Sun­dance » de Népal. En bref, vous l’aurez com­pris, Nek­feu n’est pas du genre à com­mu­ni­quer énor­mé­ment sur ce qu’il fait.

Le clip offi­ciel de « Sous les Nuages »:

Pourquoi cette absence ?

En fait, un peu comme PNL, Nek­feu laisse sa musique par­ler pour lui. Il ne refuse certes pas les feats mais il n’a pas besoin d’une com­mu­ni­ca­tion énorme pour ren­dre fous les fans avant et après la sor­tie d’un pro­jet. Un coup de com­mu­ni­ca­tion suf­fit, ou même une sim­ple annonce en con­cert comme il l’a fait pour Cyborg.  Pour par­ler du duo il a d’ailleurs cette phrase dans « Takot­subo »:

« Indépen­dants comme PNL, on veut les pre­miers comme Jul »,

Des artistes pour lesquels il a du respect. Mais pour com­pren­dre cette réelle absence du monde des médias depuis Cyborg, il est temps de laiss­er par­ler sa musique à sa place.

« On verra », premier succès et première critique de la société

Vous ne l’aurez peut-être pas remar­qué si vous n’avez eu que quelques écoutes de « On ver­ra », mais Nek­feu glisse des sub­tiles punchlines:

« Plus on se ren­floue moins on voit clair. Quand t’as pas d’argent dans ce monde t’as pas de droit »

Sim­ple mais effi­cace. Nek­feu nous offre ici une vive cri­tique de la trop grande impor­tance de l’argent. Tout est payant dans ce monde, même pour se défendre cor­recte­ment en jus­tice. À l’inverse, trop d’argent n’est pas non plus béné­fique. Plus on en a et plus on veut, et plus on en a plus on dépense de l’argent inutile­ment, ou on peut devenir para­noïaque, aveuglé par l’argent.

Une autre punch­line du son dénonce plutôt la com­mu­ni­ca­tion virtuelle :

« On se par­le der­rière un ordi mais, en vrai quand est-ce qu’on s’voit ? »

De plus en plus sou­vent, des rela­tions ami­cales comme amoureuses nais­sent de manière virtuelle, au tra­vers des réseaux soci­aux. Le prin­ci­pal prob­lème de ce type de rela­tions, c’est que le réel n’est pas présent. Et par­fois dans ces rela­tions, les deux per­son­nes peu­vent être assez proches physique­ment l’une de l’autre, mais par flemme ou par habi­tude, elles ne se ver­ront sûre­ment jamais.

Le clip offi­ciel de « On Ver­ra », qui cumule actuelle­ment 112 mil­lions de vues :

Cyborg, l’expression nette de ce dégoût du monde

En par­lant du monde virtuel, Nek­feu y con­sacre un son entier dans Cyborg, l’album sur­prise paru 1 an après. Il s’agit de « Réal­ité Aug­men­tée », sur une instru­men­tale qui fait claire­ment penser au monde infor­ma­tique. Nek­feu enchaine des punch­lines tou­jours plus cri­tiques envers le monde du numérique. Il com­mence très fort par cette phrase « Issu d’une jeunesse qui m’choque, attirée par le crime genre. Si j’me flingue en live com­bi­en de screen­shots ? ».  La jeunesse est de moins en moins choquée par tout type de con­tenus vio­lents, qui cir­cu­lent de plus en plus. De plus Nek­feu étant une célébrité, cette jeunesse est sus­cep­ti­ble de vouloir repartager l’information pour buzzer.

Juste après, Nek­feu rappe « Dans la vie t’as pas d’forme mais t’en as sur les plate­formes. T’as beau faire des mil­liers d’selfies tu peux pas te voir ». C’est assez sim­ple à com­pren­dre,  il par­le des retouch­es très présentes sur des pho­tos sur n’importe quel réseau social. De fait, à force de se déformer par ces mon­tages ou de fan­tas­mer sur ses corps retouchés virtuelle­ment, on finit par ne plus avoir con­fi­ance en soi. Et puisque selon le rappeur, la com­mu­ni­ca­tion se fait majori­taire­ment par le virtuel, il va plus loin par rap­port à la réflex­ion qu’il avait com­mencé dans « On ver­ra », par la phrase « Si tu meurs t’auras plein d’émoji tête qui pleure (ooooh) », le mes­sage est suff­isam­ment clair pour com­pren­dre qu’on ne vien­dra pas à ton enter­re­ment mais tu auras sim­ple­ment le droit à quelques pix­els qui représen­tent la tristesse.

Hon­nête­ment on pour­rait tout citer ou presque de ce son car il dégage par­faite­ment cette énergie de dégoût.

Un autre son de Nek­feu qui reflète un dégoût plus général de com­ment fonc­tionne cette société est « Humanoïde », 6 min­utes 15 pleines de ses réflex­ions. La plu­part de ses punch­lines se passent d’explications car elles par­lent d’elles-mêmes. Dans le pre­mier cou­plet, il s’adresse directe­ment à ses audi­teurs par une série de ques­tions comme :  « Est-ce que t’as été sur­pris quand on t’a dit « On tient à toi mec » ? ». Le deux­ième cou­plet se veut lui être une mon­tée en puis­sance de l’intensité, dont voici quelques phras­es : « J’viens dans un monde ou même les morts sont à ven­dre ». Ici il par­le des trafics d’organes, pris des per­son­nes sou­vent mortes. On peut aus­si relever cette phrase « Tu fais le mal quand t’étales ton bien » ou encore « J’ai la colère des p’tits à qui on d’mande de choisir d’un coup leur méti­er. Qui a con­seil­lé la con­seil­lère d’orientation ? ».

Dif­fi­cile de ne ressor­tir que deux sons de cet album pour décrire le mes­sage passé par Nek­feu. La pochette elle, reflète déjà bien l’ambiance virtuelle, presque iréelle du pro­jet. Je ne peux que vous inviter à une écoute, ou à une nou­velle écoute de Cyborg.

source genius.com

Les Étoiles Vagabondes, un album plus apaisé 

La bande annonce offi­cielle du film dif­fusé sur Net­flix, Les Etoiles Vagabon­des qui explique la créa­tion de l’al­bum du même nom :

Les Etoiles Vagabon­des se veut un album plus per­son­nel, où il par­le beau­coup d’amour, où on peut suiv­re l’évolution de Nek­feu vis-à-vis de cela. Mais il y a tou­jours bien quelques punch­lines qui nous en dis­ent encore long sur ce qu’il pense de la société. On peut par exem­ple tir­er du refrain de « Menteur Menteur » cette phrase :

« Hun, ils sont pas car­rés comme Jim dans Menteur, menteur (Ils sont tri­an­gles, ronds, croix) »

Ici, Nek­feu fait référence au film Menteur Menteur où Jim Car­rey inter­prète le rôle prin­ci­pal. Le rond, la croix, le tri­an­gle et donc le car­ré font références aux touch­es d’une manette de Playsta­tion. On peut com­pren­dre l’addic­tion aux jeux vidéos de cer­tains rappeurs. Cela mar­que aus­si le fait que ces derniers soient absents, ou qu’ils ne soient pas car­ré. En effet, dans le film, l’avocat inter­prété par Jim Car­rey manque de sérieux et a bâti toute sa répu­ta­tion sur du mensonge.

Pour pass­er à quelques punch­lines plus sim­ples, dans le pre­mier cou­plet Nek­feu fait encore quelques références au monde virtuel:

« M’raconte pas ta vie j’vais bris­er ton cœur comme un lu »

Au début de son deux­ième cou­plet il va jusqu’à com­par­er sa car­rière à un jeu vidéo : « T’es pas d’mon lev­el j’vais t’soulever juste pour les XP » en s’adressant à d’autres rappeurs qu’il clash ouverte­ment. Il dit que pour eux la bataille serait per­due d’avance et qu’ils deviendraient juste de vul­gaires points d’ex­péri­ence (on peut assim­i­l­er ce gain d’ex­péri­ence, à l’acquisition de nou­veaux fans ceux du rappeur qu’il clash ou ceux qui le décou­vre grâce à cela).  « On s’tape, j’aug­mente mon stuff et mes stats changent de skeud » » grâce à cet éventuel clash avec un autre rappeur, il change de reg­istre pas­sant de Cyborg  à Les Etoiles Vagabon­des, deux dis­ques dif­férents en con­tenu. Il explique aus­si dans cette punch­line que ses sta­tis­tiques changent de disque, pas­sant encore une fois de Cyborg à Les Etoiles Vagabon­des, plus pré­cisé­ment un clash qu’il risque de rem­porter, et qui donc lui ferait une bonne pro­mo­tion pour son projet.

À not­er que ces com­para­isons restent rel­a­tive­ment déshu­man­isantes pour l’univers du rap et même du monde en général, très axé sur le virtuel, l’irréel.

Une évolution de la même vision

Pour con­clure, Nek­feu a tou­jours eu un dégoût pour la société, le monde plus ou moins pronon­cé. Il l’ex­prime au tra­vers de très bons sons dans tous ses pro­jets. Mal­gré son absence, le rappeur fait tou­jours par­ler de lui. L’ap­pari­tion dans le clip de Népal n’est pas passée inaperçue ain­si que son très prob­a­ble fea­tur­ing avec Kalash Crim­inel. Con­cer­nant ses pro­jets per­son­nels, dif­fi­ciles de savoir ce que nous réserve le rappeur. Peut-être a il déjà prévu de nous pren­dre à con­tre­pied ? Après tout, ça a été sa grande force avec les pro­jets Cyborg et Les Etoiles Vagabon­des. Une chose est sûre, son retour est plus qu’at­ten­du par ses fans.

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