Alors que sous l’impulsion du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, l’Arabie Saoudite semblait prête à s’ouvrir un peu plus au monde, certaines choses ont encore du mal à passer. En effet, le 20 février dernier, la rappeuse saoudienne Asayel Slay a été arrêtée. La raison ? Un clip intitulé « Mecca Girl » (la fille de la Mecque).
Mis à part le titre, rien n’indique que le clip ait été tourné à la Mecque, ville sainte d’Arabie Saoudite, où des millions de musulmans se rendent chaque année pour effectuer le Hajj (pèlerinage).
Dans son clip, Asayel Slay vante le courage et la beauté des femmes de la Mecque, en arabe et en anglais. Elle porte un foulard et des lunettes, sa tenue n’est pas moulante et aucune provocation dans ses gestes ou son attitude n’est à noter. Autour d’elle, des petites filles dansent en salopette dans un café à l’occidentale.
« A Mecca girl is all you need. Don’t upset her, she will hurt you »
Mais c’en est déjà trop pour le gouverneur de la Mecque, le prince Khalid Ben Faisal. C’est lui qui a exigé l’arrestation et l’emprisonnement d’Asayel, pour « non-respect envers les coutumes et les traditions ». Le compte YouTube de la rappeuse a ensuite été suspendu. Selon Courrier International, Asayel aurait été relâchée le 24 février, mais aucune information officielle ne le confirme. Désormais, son seul chef d’accusation est d’avoir filmé dans des lieux publics sans autorisation.
« She’s white, shines like a lightbulb. She’s dark, her beauty stings »
Si ce clip a autant dérangé, c’est également à cause de la peau couleur ébène d’Asayel, qui subit le racisme permanent du gouvernement saoudien. L’écrivaine et activiste égyptienne Mona Eltahawy parle d’un acte « misogynoir », la double discrimination que subissent les femmes noires.
« Drop the beat, a Mecca girl, you can’t compete, just running the show, look at her glow, is it the mood or her, you’ll never know »
Sur les réseaux sociaux, deux camps s’affrontent. Certains commentaires sont ouvertement racistes et demandent à la rappeuse de « rentrer en Afrique ». Le site turc Anha écrit même :
« Cette vidéo patauge dans la boue, jamais nos mères, nos grands-mères et nos sœurs ne se sont ainsi adonnées à des trémoussements dans des boîtes de nuit ! »
Pour rappel, le clip se passe dans un café en pleine journée… Mais à l’inverse, le hashtag #HelpAsayel a été créé pour dénoncer le racisme et la misogynie.
Cette polémique n’est pas sans rappeler l’annulation du concert de Nicki Minaj en juillet 2019. La rappeuse américaine avait refusé de se produire à la Jeddah World Fest en constatant la répression des personnes de la communauté LGBT et la manière dont les femmes étaient traitées dans le pays. Nicki Minaj écrivait sur les réseaux sociaux :
« Même s’il n’y a rien que je désire plus que de présenter mon spectacle à mes fans d’Arabie saoudite, après m’être davantage renseignée sur le sujet, je pense qu’il est important pour moi de manifester clairement mon soutien aux droits des femmes, à la communauté LGBTQ et à la liberté d’expression. »
L’hésitation entre modernisme et conservatisme est palpable en Arabie Saoudite. Même si des mesures ont été prises pour ouvrir le pays, telles que l’autorisation de conduire accordée aux femmes, la réouverture des cinémas et des salles de concert, l’organisation de concerts pop ou encore l’ouverture de restaurants mixtes, la répression n’est jamais loin.
En décembre dernier, plus de 120 personnes ont été arrêtées pour avoir porté des vêtements jugés trop moulants. En Arabie Saoudite, des militants des droits de l’homme, des journalistes ou des blogueurs sont régulièrement arrêtés et emprisonnés. Dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, l’Arabie Saoudite occupe d’ailleurs le 172ème rang…sur 180 pays.