Rocailleuse ou stridente selon ses envies, la voix du jeune rappeur toulousain SPECY MEN détonne dans le rap jeu qu’il intègre à peine.
« Ma voix je l’exploite jusqu’à l’exploit ». Voilà une phase – issue de son morceau « Encore ici » – qui résume bien les intentions du rappeur SPECY MEN : se déchirer les cordes vocales autant que nécessaire pour réussir. Malgré la puissance vocale dont il fait preuve dans chaque track, l’artiste toulousain n’en est encore qu’aux balbutiements de sa carrière : neuf ans de rap, mais des réseaux sociaux et des plateformes streaming presque vides. Attendait-il de passer au sérieux ? C’est maintenant chose faite avec son premier album Corps maigre sorti le 2 juin 2020. L’occasion de se bousiller la voix sur dix prods, de dix façons différentes.
Le cri du cœur
Identifiable à son timbre singulier, SPECY MEN joue de cet éclat de voix quasi constant sur chaque morceau. Tantôt perçu comme un cri du cœur touchant, tantôt comme un hurlement éploré presque inaudible, son flow ne peut laisser indifférent. Le curseur se positionne en fonction des sensibilités de chacun. Mais si SPECY MEN n’apparaît pas comme un lyriciste ravageur – avec parfois des rimes lourdes et des images assez conventionnelles –, il faut lui reconnaître une forte capacité d’interprétation. Son timbre saturé incarne sans relâche une émotion palpable qui rappelle celle de Nekfeu lorsque sa voix s’éraille de rage sur « Vinyle », ou lorsque Vald rappe « Rechute » avec un trémolo dans la gorge.
« J’ai voulu me faire sauter la cervelle
Crois moi, c’est bien plus qu’un trou de mémoire
En plus, c’est comme ça tous les soirs
J’ai laissé ma bière, j’ai bu tout l’espoir »(Dernière tentative)
Cette passion qui ressort à intensité variable sur chaque son du Toulousain peut devenir lassante. Mais elle a poussé des millions d’auditeurs – 3,7 sur Spotify et 5,5 sur Youtube pour être exacte– à streamer son morceau « Dernière tentative ». Comme le titre le laisse présumer, SPECY MEN y rappe ses pensées suicidaires, associées à un mélange d’alcool triste et de drogues dures. A ces deux thèmes récurrents dans ses textes, il faut ajouter celui des femmes, qui hantent la plupart de ses morceaux. « Jean troué », « Corps maigre » ou encore « Mannequin » : elles y apparaissent souvent comme torturées, à l’image du rappeur.
Décibels et attitude
Mais le cri de SPECY MEN n’essaye pas seulement d’émouvoir les auditeurs : devant sa voix corrosive, les masques qu’il affiche sont variés. Dans « Shérif » ou « Overdose » – freestyle enregistré avec Le Règlement –, son flow est celui d’un jeune effronté. Un Cartman en puissance lâchant des phases aussi énergiques qu’efficaces.
Dans un tout autre style, SPECY MEN verse même dans des morceaux ovnis comme « Piste de danse », inspiré du célèbre « Song 2 » de Blur. Et quand le grain de voix du rappeur ne devient pas celui d’un rockeur britannique fiévreux, il tente avec « Néons » de coller à une prod dansante de clubbeur.
« Tout seul dans ma chambre, j’ai serré les poings
Inoffensif comme un muet à qui on a coupé les mains »
(Cendrier)
Là où SPECY MEN est convaincant, c’est lorsqu’il s’use les cordes vocales sur des tracks plus secs, énervés, et surtout équilibrés. Dans « Cendrier », outro de son album, le jeune artiste se défoule avec un kickage en règle communicatif. Et avec « Grand Final », il offre l’un des rares refrains où sa voix est contenue : l’explosion vocale qui surgit dans les couplets n’en est que plus appréciable. Et avec une explosion bien exploitée, il y a de quoi s’ouvrir la voie.