Avec la sortie de son premier album Alaska le 30 octobre dernier, Green Montana conforte sa place dans une scène belge en plein renouvellement.
Une génération a déjà tout cassé. De Damso à Hamza, en passant par Caballero et Jean Jass, la Belgique a fourni un grand nombre de talents désormais installés dans le paysage du rap francophone. Des propositions originales, avec des univers propres que chaque artiste a su affiner au fil du temps. Un exemple de réussite qui, forcément, pousse de nouveaux artistes à s’insérer dans la brèche : Frenetik, ICO, Geeeko,… et donc Green Montana. Tous font partie de cette nouvelle vague belge qui, à défaut de remplacer la précédente, vient doucement prendre le relais.
Singularité
Mais quelle est la recette du succès des artistes belges? Beaucoup se sont posé la question. Et la réponse peut résider dans le fait qu’il n’existe pas une seule recette universelle mais plusieurs, avec chacune sa singularité. En effet, chaque artiste s’inscrit dans une vague uniforme mais possède sa propre particularité. Cela donne une scène variée, avec des profils aussi originaux qu’ambitieux. Green Montana s’est naturellement introduit dedans.
Depuis deux ans, il impose sa patte. Sans faire trop de bruit, le rappeur de Verviers construit petit à petit un univers bien singulier: une voix rauque, légèrement cassée, tremblotante, qui donne une texture bien particulière à ses mélodies, le tout enrichi par un autotune dosé au millimètre. Pour l’accompagner, des instrumentaux à son image: doux, lancinants, laissant beaucoup d’espace, avec une omniprésence des synthétiseurs, guitares, basses… et très peu de percussions.
À travers ses morceaux, Green Montana dévoile également les contours de sa personnalité. Quelqu’un de discret et solitaire, dans la vraie vie comme dans la musique. Seulement deux maxis de deux titres chacun en 2018 (Bleu Nuit et Orange métallique), une seule apparition en featuring et quelques singles épars.
Cette façon de voir la musique fait écho à sa personne. Car là où la plupart des rappeurs francophones vivent dans l’urgence, lui a pris son temps. Notamment pour s’entourer des bonnes personnes. Il a d’abord noué une relation importante avec le rappeur bruxellois Isha – qui est désormais son manager. Repéré ensuite par Booba grâce à un morceau sur la compilation La Relève de Deezer, il signe sur son label 92i dès 2019. Les fondations posées, le Verviétois a pu finir Alaska, son premier album, dans les meilleures conditions.
La vibe avant tout
Sur ce premier album, l’ambition était tout affichée: affirmer le style et l’univers de Green. Sur 16 tracks, il démontre une vraie capacité à imposer sa signature vocale sur n’importe quelle production. Tantôt chantés, tantôt rappés, le rappeur alterne les flows avec facilité et maîtrise. Rien n’est forcé. « Méfiant » offre une vraie démonstration dans ce style. On reconnait la patte d’Ikaz Boi (accompagné par Loubensky) sur l’instrumental et Green fait mouche avec ce refrain.
La diversité et l’efficacité des mélodies sont le véritable atout du disque. Il place le mantra « la vibe avant tout » tout en haut de ses préoccupations. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il tape dans le mille à chaque fois. Sur la majeure partie des morceaux, on retrouve ces ambiances froides et métalliques déjà développées sur les deux maxis précédents. Les choix de productions sont très justes et renforcent cette teinte bleutée (« BB part.2″ ; « Séquelles »). Heureusement, quelques touches plus lumineuses et festives parsèment l’album (« Ganja » ; « Sale Tchoin »), offrant à Green l’occasion d’explorer d’autres horizons musicaux, sans pour autant travestir sa musique.
En effet, l’album propose beaucoup de « surprises » musicales, avec des instrumentaux assez uniques en leur genre : des cuivres synthétiques de « Palm Angels » et « Médaille », aux sons féériques de « Ganja » et « Rêves magiques », rendant le tout très diversifié. La diversité des producteurs va dans ce sens — de Dany Synthé à Benjay pour les plus connus, ou à Osha.
Avec Alaska, Green a voulu proposer quelque chose de neuf sur chaque morceau. Dans ses interprétations, on peut aussi bien retrouver les ambiances planantes qui lui sont chères (« Risques »), que des choses plus cadencées et kickées (« Trouble »). On ressent alors les influences outre-Atlantique comme Gunna ou encore Lil Baby .
Diamant à polir
Alaska n’est évidemment pas parfait en tout point. Pour employer un gros mot, on peut dire qu’il a les défauts de ses qualités. Les disques avec des BPM majoritairement lents et des ambiances très chantées et planantes peuvent être assommants si on les écoute d’une traite. Le risque de décrochage au milieu d’album est proche. Des morceaux comme « Sale Tchoin » ou « Tout gâcher » en featuring avec Booba font du bien en fin d’album pour retrouver l’oreille de l’auditeur. Et c’est en cela que le disque garde tout de même de l’intérêt et de la cohérence : le séquençage et les formats des morceaux sont bien pensés, ce qui offre des temps forts captivants — en fin d’album notamment.
Ensuite, Green accordant une grande importance aux mélodies, les textes se retrouvent plus démunis. Démunis de sens parfois, avec des formules ou des tournures qui ne collent pas :
« Est-ce que t’es prête, baby ?
Les négros meurent bêtement
Shoote, il finit pas son hot-wings
Oui baby, viens, on prend un hôtel au pif »(Rêves magiques)
Aussi, alors que la personne qu’est Green ressort beaucoup au travers des productions et de ses interprétations, on la ressent moins dans les écrits. Le rappeur peine à se démarquer réellement. Il met plus en avant un personnage, en faisant énormément de références aux « ennuis », aux « risques », à l’argent, la drogue et les femmes. Heureusement, ici et là, on retrouve quelques lines qui en révèlent plus sur sa personne : quelqu’un de réservé, qui se mélange peu et qui se méfie de l’inconnu :
« J’préfère être distant, tu nous aimes pas, b**e ta mère » (Séquelles)
« Bébé, laisse-moi l’temps, j’veux savoir sur qui j’peux compter » (BB Part. 2)
On comprend que pour le moment, Green reste un peu timide en ce qui concerne sa vie privée. Aux yeux du public, il reste encore un rappeur très mystérieux, aux interprétations fuyantes et feutrées. En tout cas, dans le futur, se livrer dans ses textes donnera beaucoup plus de relief à son univers et lui permettra d’étoffer le style et la personne « Green Montana ».
Humilité et ambitions
Si Green Montana affiche de belles ambitions, il n’en reste pas moins humble malgré tout :
« J’rentre pas à la house sans médaille » (« Médaille »)
« Ne-Gree n’a toujours pas percé » (« Licepo »)
De la trempe des charbonneurs, avec une structure solide derrière lui, aucun doute qu’il ne va pas s’arrêter en si bon chemin. La nouvelle génération de rappeurs belges possède des atouts considérables et Green fait assurément partie des leaders.
La maîtrise des mélodies et la multitude des ambiances augurent un futur vraiment prometteur, avec beaucoup de possibilités pour sa musique. Aujourd’hui, Green Montana peut prendre son temps, pour apporter plus de densité à ses textes, prendre du recul pour peaufiner son style et tenter encore. La balle est dans son camp, il n’a plus qu’à faire swish.