Il y a 14 ans, l’Allemagne découvrait Alligatoah. Rappeur, DJ ou encore guitariste, zoom sur la carrière déjà (très) réussie de Lukas Strobel.
Quand Alligatoah voit le jour en 2006, il est l’œuvre d’un adolescent qui n’a pas encore son bac. Et si ce nom de scène est aujourd’hui communément utilisé pour parler de Lukas, il s’agit au départ d’un groupe composé de DJ Eagle et Kaliba 69, deux personnages fictifs interprétés par le lycéen d’alors.
Un concept légèrement capillotracté qui donne cependant lieu à un succès naissant. Après avoir sorti deux mixtapes, il sort un premier album intitulé In Gottes Namen (« Au nom de dieu »).
Un projet dans lequel on retrouve les thèmes du football, du mal-être social ou encore du terrorisme, sujet qui deviendra un leitmotiv au fil de ses albums. In Gottes Namen est donc fondateur dans bien des aspects, notamment dans la prise de certaines positions, qu’elles soient politiques ou morales. Ainsi, dans “Teufelskreis” (cercle vicieux), il incarne un homme dont le seul but dans la vie, après la mort de ses parents, est de venger ces derniers (s/o Sasuke); pour finalement mettre en lumière l’impossible satiété de la vengeance.
“Ich hab mich geändert, hab Familie und Kinder
Doch es sticht jeden Tag, dass ich damals so blind war
Jeder glaubt zu wissen, was Gerechtigkeit ist
Also drück ab, doch dann bist du nicht besser als ich”
« J’ai changé, j’ai une famille et des enfants, mais cela me fait mal chaque jour d’avoir été si aveugle autrefois, chacun croit savoir ce qu’est la justice, alors presse la gâchette et tu ne vaudras pas mieux que moi »
Trois ans après et son baccalauréat en poche, Alligatoah rejoint Berlin, où il intègre le label Trailerpark, dont sont aussi membres les rappeurs Sudden, Timi Hendrix et Basti. Les albums suivants, Schlaftabletten, Rotwein III et Schlaftabletten, Rotwein IV (Somnifères, Vin rouge III et IV) sont alors marqués par une évolution musicale, notamment dans l’accessibilité des morceaux. L’humour devient partie intégrante de son univers musical, et il l’utilise notamment à travers des textes engagés, mais pas que. Car si l’on retrouve toujours le thème du terrorisme (il occupe le rôle ridiculisé du terroriste), quelques morceaux “grand public” font leurs apparitions.
Des titres comme “Namen machen”, “Trostpreis” ou « Klüger » contribuent donc à faire connaître le rappeur de Basse-Saxe. Des mélodies plus enjouées, des paroles plus légères et un style se rapprochant globalement de la pop lui permettent de réellement commencer à tourner en Allemagne.
Lancée pour de bon, la carrière de Lukas Strobel prend un réel tournant en 2013, à la sortie de son troisième album studio, Triebwerke (“Réacteur”), qui restera 45 semaines au sommet des charts. Dans cet album, un hit fera le tour de l’Allemagne et franchira même certaines frontières : “Willst du”. Un accompagnement comme souvent à la guitare, une mélodie qui reste en tête (“Ohrwurm”, chez les Allemands, littéralement ver d’oreille) et des paroles légères : le titre a tout du tube de l’été, et c’est réussi. Le clip offre cependant un autre point de vue :
Triebwerke, puis Musik ist keine Lösung (« la musique n’est pas une solution », 2015) après lui entérinent le succès d’Alligatoah. Désormais acteur incontournable d’une scène rap pourtant très fournie, il enchaîne les tournées et les festivals de grande envergure, notamment le célèbre Rock am Ring. De plus en plus polyvalent dans les différents styles qu’il explore, il parvient néanmoins à garder une approche très engagée à travers une utilisation intempestive du second degré, ce qui plaît beaucoup outre-Rhin.
Après un album de reprises et un cinquième album studio qui rencontrera un peu moins de succès que les deux précédents, Alligatoah gratifie ses fans d’un album live enregistré au Kenya, en pleine savane, et disponible sur YouTube. L’occasion de mettre l‘accent sur des clips dont l’originalité et la qualité sont toujours au rendez-vous, avec une identité souvent colorée et excentrique.
Un artiste en perpétuelle évolution donc, dont le dernier son est sorti il y a cinq jours. Un titre appelé « Merch », qui n’a cependant plus grand chose à voir avec le rap. Armé d’une guitare électrique dans son jardin ; auteur du chant, du mixage et de la performance vocale, Alligatoah fait étalage de tout son talent et surtout de sa polyvalence. Dès lors, impossible de prédire de quoi les prochains projets seront faits. Une chose est sûre : l’Allemagne les attend avec impatience.