Alors qu’on a à peine eu le temps de digérer leur premier album, Machakil, sorti début mars, les compères de TripleGo nous offrent un nouveau projet pour cette fin d’année. Sorti vendredi 1er novembre, « Yeux rouges » semble s’inscrire dans la continuité des précédentes productions du groupe.
TripleGo, c’est l’alliance de deux artistes. Un rappeur, Sanguee, et un producteur, MoMo Spazz. Les Montreuillois ne sont pas des petits nouveaux dans le paysage musical français. Ils délivrent leur premier projet, « Overdose », en 2013. Avant d’enchaîner en 2014 avec « Eau Calme » et « Putana ». En parallèle, ils sortent aussi leurs premiers clips, dès fin 2013 avec « Montreuil Sous », puis quelques mois plus tard avec « Bang x4 » ou « Danse ».
Dès leurs débuts, on sent que TripleGo ne vise pas à s’inscrire dans la veine « trap » vers laquelle de nombreux rappeurs s’orientent aujourd’hui, notamment en France. Ils développent leur « cloud rap », avec des sons planants, vaporeux. Ils visent en parallèle à créer un univers visuel particulier, qui accompagne leurs musiques dans de nombreux clips distillés régulièrement sur leur chaine Youtube.
Ils ont travaillé avec des réalisateurs talentueux comme Kevin Elamrani-Lince, qui a travaillé avec MZ et Alkpote, pour « Favela ». Arnaud Deroudhile, réalisateur parisien qui a collaboré avec Pedro Winter, alias Busy P, a clippé « Ppp » et « Habeeba ».
« Eau Max », sorti en 2016, montre une première évolution, une affirmation du style vers lequel tendent les Montreuillois. Les aspérités sont gommées pour arriver à un projet qui a, globalement, plus de consistance et de cohérence. Des morceaux comme « Sahara » et « Favela » distinguent déjà une musicalité vers laquelle le groupe va s’orienter de plus en plus. Alors qu’il s’éloigne dans le même temps du style de « Hippie du neuf trois », bien que ce soit un des titres les plus marquants du projet. On commence à sentir la confirmation d’une patte artistique aiguisée, et une envie de leur part de créer leur propre style musical, et de ne surtout pas suivre une tendance.
Les mixtapes « 2020 » et « #EnAttendantMachakil » en 2017 et 2018, annoncent un premier album de grande qualité. On y retrouve des titres marquants, comme « Medellin », qui reste aujourd’hui le son le plus écouté du groupe sur Spotify avec plus de 400 000 écoutes.
TripleGo fait partie des rares artistes en France à avoir su créer un univers complet, à l’instar de Jul par exemple, avec une musique reconnaissable et se dégageant des prérogatives communes du rap français. MoMo Spazz a développé une patte artistique qui se retrouve dans les prods qu’il prépare. On y voit des inspirations de musique électronique, des productions calmes, planantes, avec un rythme plutôt lent. Il y ajoute de nombreuses touches de musiques orientales et latines, qui se marient à la perfection et qui ressortent avec des percussions modernes et claquantes.
Sur celles-ci, Sanguee pose avec maîtrise une voix souvent autotunée. Les phrases sont souvent répétées, et des gimmicks particuliers sont souvent utilisés « Ra ra ra », « ta ta ta », « 3–3‑3 » ou « 9–9‑9 ». Il pose aussi régulièrement des phases en arabe, et un vocabulaire espagnol important est ajouté aux rimes dans presque chaque son, et même dans certain titre : « Te bote » dans Yeux Rouges, « Vamos », « Costa », « No conozco » ou « Hasta la muerte » auparavant.
Machakil, leur premier album, apparaît alors comme une synthèse de leur musique, le résultat d’une construction de plusieurs années et réalisations. Ils développent pleinement leur projet artistique. On retrouve surtout une grande cohérence dans la totalité du projet, plus encore que sur les précédents. Le résultat est un univers transportant.
Un univers toujours développé dans ce nouvel album, « Yeux rouges ». On retrouve une immensité, mais aussi une relative noirceur et une mélancolie au fil des morceaux. L’album ne contient pas de morceaux aussi originaux que « Die » ou « Trou noir » sur Machakil, mais la prise de risque se retrouve ici avec des changements de rythme à l’intérieur de certains morceaux. C’est par exemple le cas dans « Pushka », « Nabilla », « La Serenade ». D’autre part, des titres comme « Baisers volés » ou « Marrakech » semblent pouvoir ouvrir la musique de TripleGo à un public moins initié.
Le groupe semble apporter un intérêt tout particulier aux yeux et au regard. Le titre de l’album « Yeux rouges » et des paroles y font systématiquement référence. « Son regard me fusille » dans « Russie », « J’me vois dans tes yeux, j’me vois dans mon shlass » dans « Pushka », et surtout dans le titre « Dans ma folie » :
« Des fois dans ma folie, j’te revois ma jolie. Dire non avec la boca, dire oui avec les yeux. […] Sous mes yeux ébahis, tu m’as hypnotisé ».
On ressent l’importance du regard sur les autres, sur le monde et son immensité, mais aussi sur soi-même. L’aspect planant des autoproclamés « créateurs du cloup rap en France » peut aussi permettre un regard vers soi-même, une introspection.
TripleGo a réussi à fidéliser une base d’adeptes de leur musique, mais peine toujours à se faire connaître du grand public. La particularité et l’originalité de leur musique peuvent sans doute expliquer en partie le fait qu’elle soit moins facilement accessible. « Yeux rouges » est, comme les précédents projets, à écouter et à penser dans une œuvre plus globale diffusée depuis quelques années par MoMo Spazz et Sanguee.